Voici trois exemples, parmi tant d’autres, de jeux vidéos qui abordent des sujets de santé mentale, chacun avec un angle et des intentions différentes.

Gris ( Nomada Studio ) : l’approche d’une œuvre grand public, expressive et cathartique

Ce jeu porte un thème de dépression et de résilience, auprès d’un très, très large public (ce type de jeu « de plateformes » est l’un des plus répandus, populaires et accessibles).
On n’y cherche pas tant un défi qu’une exploration, une expérience marquante et mémorable.
Comme sa difficulté est modérée, la majorité des micro-actions entreprises sont couronnées de succès. Une personne en fragilité dépressive peut y trouver une activité « anxiolytique« , où elle peut retrouver un sentiment de pouvoir de contrôle rassurant.

Par l’émerveillement d’une immersion dans une esthétique sublime, et une atmosphère prenante, une telle œuvre vidéoludique offre une catharsis. Alors que l’on accompagne ce personnage à travers la si belle désolation de son monde intérieur, emportée par la narration non-verbale et la musique émouvantes, tout est composé pour nous toucher là où notre solitude, notre peine, notre impuissance et notre fragilité, peuvent résonner en empathie avec ce que semble éprouver le personnage.

Alors que le jeu constitue une progression du personnage au cours de sa propre résilience, il illustre, non pas son retour à un état antérieur ou une guérison, mais son accès à un état d’après, où ses fissures (qui demeurent) deviennent vivables, et lui permettent de retourner à un monde, une vie, un goût et une beauté d’exister. Ces idées peuvent contribuer à infuser un nouveau regard sur soi-même, porteur d’espoir.



Adventures with Anxiety ( Nicky Case ) : une histoire interactive porte-voix, intime et empathique

En nous donnant à incarner l’anxiété généralisée que porte un personnage, sous la forme d’un loup paniqué tourné en ridicule, ce jeu veille d’entrée, par son humour, à dédramatiser un sujet sensible et à désamorcer les vulnérabilités liées. Tout en brossant un aperçu actif de l’indicible que peut traverser au quotidien une personne sujette à de telles angoisses.

Aux personnes anxieuses à qui il s’adresse principalement, ce « pas de côté » tente d’apporter de nouveaux repères, une autre vision de soi-même et des situations vécues : considérer l’anxiété comme une force de survie que l’on peut réajuster, qui équipe pour apprendre à « vivre avec » et « vivre mieux ».

Le jeu invite à l’introspection, à reconnaître les peurs qui sont nôtres et poser un nom dessus. Un premier pas, qui transforme une force que l’on subit, en un objet dont on peut se saisir. Les luttes intérieures dépeintes expriment des situations de conflits internes dans lesquels on peut se reconnaître. Elle progressent jusqu’à inviter à une plus grande acceptation de soi.

Cette reconnaissance du ressenti, et du droit de ressentir, aux yeux des autres mais aussi à ses propres yeux, constitue déjà un bienfait, en rendant à la personne qui souffre sa légitimité. Un facteur de reprise du dialogue, d’acceptation, de réconciliation.
Ce jeu véhicule, enfin, un message précieux : je suis passé(e) par là. Tu n’es pas seul(e). Et tu vas apprendre à t’en sortir.

Un éventail d’actions possibles est proposé, comme une invitation à reprendre une posture active et un sentiment de pouvoir d’agir. Le climax d’empowerment qui l’accompagne concoure à amorcer la confiance en soi et, peut-être, un engagement intime vers ces routines de résiliences. De cette brève expérience, on peut retirer soulagement, réassurance, et une capacité d’agir restaurée.

Vous pouvez jouer gratuitement à ce jeu via ce lien.


Sparx ( Auckland University ) : un Serious Game, thérapeutique

Ce dispositif, conçu par une équipe clinique et de recherche de l’université d’Auckland, fait partie d’un programme thérapeutique composé spécifiquement à destination des adolescents sujets à dépression. Il est composé en complément d’une thérapie de suivi, de manière à convoquer chez les personnes qui y jouent des figures symboliques fortes et inspirantes, propres à leurs cultures.

Le format jeu vidéo leur ouvre un espace – refuge sécurisant où l’on peut se relaxer. C’est une porte d’entrée rassurante vers une implication peu coûteuse, que soutient les mécaniques engageantes intrinsèques au jeu.
Il offre aussi un support-medium de connexion aux autres, pairs, proches, thérapeutes : parler du jeu permet aussi de parler de soi à travers ce jeu, indirectement. C’est moins exposant et vulnérabilisant aux premiers contacts.

Par l’exploration – aventure, les activités menées sont sont simples et contribuent à restaurer un sentiment de contrôle, de réussite. Dans le même mouvement sont distillés par l’activité de jeu, les nouveaux repères métacognitifs, les comportements de résilience, que la répétition au fil des parties permet d’ancrer progressivement, ainsi qu’une image d’un soi davantage capable et sécure. Le tout, en amorçant le transfert vers le réel de ces nouveaux acquis (lequel est achevé par le suivi).

Ce dispositif a connu un tel succès qu’il a permis d’accroître efficacement la capacité de réponse aux besoins, détendant les possibilités de prendre en charge davantage de patients. Il a été réactualisé et réadapté à plusieurs reprises, pour des jeunes d’autres cultures. Vous pouvez trouver sur leur site plusieurs études menées depuis le début du projet.


Et l’addiction aux jeux vidéos, alors ?

Comme la plupart des pratiques addictives, au delà de la part de prédispositions génétiques et facteurs de risques physiologiques, l’addiction est un sujet holistique : l’environnement de vie, l’histoire personnelle, restent à considérer dans la majorité des cas comme les facteurs principaux de ce qui l’a amenée vers, ou maintenu dans, une conduite addictive.

« Ça a été mon refuge« . Vous entendrez cette phrase très, très souvent. De la part des personnes qui ont beaucoup joué, de la part de créateurs et créatrices de jeux inspirants.

Les jeux peuvent être…
Un domaine où l’on peut se conforter dans certaines visions, du monde ou de soi-même, connues et rassurantes.
Une pratique, où l’on trouve maîtrise, satisfaction et contrôle, dont on manquerait dans le réel.
Un commun, que l’on peut partager et dont on peut parler avec les pairs.
Une appartenance, au sein d’une communauté de jeu qui nous accueille.
Une identité de gamer ou de gameuse, qui nous valide.

Il est tentant alors de se consacrer au virtuel pour puiser ce dont nous priverait le réel. C’est lorsque ces tentations sont exploitées, dans les mécaniques qui composent le jeu, comme autant de leviers de rétention addictives, qu’un risque délétère peut exister. Hélas, nombreux sont les jeux qui ne s’encombrent pas de scrupules.

À l’inverse, une œuvre ludique composée avec conscience et responsabilité, porte ce potentiel de restauration, pour qui y joue, de lui apporter quelque chose qui lui manquerait dans le réel, et d’ainsi compenser dans la construction de soi-même. Ou encore, de lui aménager un chemin « dans le réel », qui dirige vers ces ressources, par exemple en constituant une interface sociale.

Quand le transfert vers le réel se fait, le jeu peut passer de refuge à tremplin. Pensez à ces films, ces romans, ces scènes, qui à un moment de votre vie, vous ont bouleversé, marqué, vous laissant sentir différent à la sortie. Un peu plus grandi(e)s, un peu plus guéri(e)s. Ainsi va des jeux vidéo, également, surtout quand ils y veillent. Avec l’effet accru de l’immersion, de la pratique répétée dans le temps, et du partage social.